Une recherche de

Maud Crivelle

Sur Google Maps, le quartier Barbès semble presque absent. Ce quartier pourtant si vivant, commerçant et dense paraît, à première vue, exclu de la cartographie digitale.
La question se pose alors : en tant qu’étranger au quartier, avec quel regard arpentons-nous ses rues ? Que choisissons-nous de visiter, avant même de fouler le sol de ses trottoirs ? Entre livres et numérique, quels regards décidons-nous de porter sur ce quartier ? Le récit édité d’un guide imprimé et/ou l’algorithme d’une carte en ligne ?

Dès la sortie du métro Barbès-Rochechouart, mon regard se lève instinctivement. Là-haut, comme suspendue entre passé et présent, l’enseigne TATI trône encore, défiant le temps à la façade d’un ancien temple du commerce populaire. Elle est dressée comme un phare ou un mémorial d’une autre époque. « TATI, les prix les plus bas » — ce slogan suspendu dans le ciel parisien évoque un âge d’or du commerce, celui où Barbès était un aimant à bonnes affaires, et où Tati était le monument le plus visité de Paris.

Tati, les Grands Magasins ne sont qu’un souvenir, pourtant Barbès est toujours là. Je me demande alors ce qui fait Barbès ? Peut-être que ces grandes enseignes n’étaient pas le cœur de son identité ?

J’ouvre mon ordinateur et me rends sur Google Maps. Je tape simplement « Barbès » puis ajoute « magasins ». À ma grande surprise, la carte est presque vide. Rien de bien remarquable. Google Maps m’y indique un G20 et un ou de autres magasins au mieux ; Je teste d’autres mots : « épicerie », « supermarché», « commerces alimentaires ». Toujours rien de concluant.

Capture d’écran de la carte google maps sur mon ordinateur personnel obtenue le 20/02/2025, sur le secteur de la Goutte d’Or (Paris 18e) et à partir du mot clef de recherche: «supermarché». Google ne relève que deux occurrences.

Capture d’écran de la carte google maps sur mon ordinateur personnel obtenue le 20/02/2025, sur le secteur de la Goutte d’Or (Paris 18e) et a partir du mot clef de recherhce: «épiceries». Google relève cinq occurences.

Capture d’écran de la carte google maps sur mon ordinateur personnel obtenue le 20/02/2025, sur le secteur de la Goutte d’Or (Paris 18e) et à partir du mot clef de recherche: «commerces alimentaires». Google ne relève qu’une seule occurrence.

Le lendemain, je décide de retourner sur le terrain. Je ressors du métro, remonte le boulevard Barbès, passe les magasins de téléphonie mobile et m’arrête à côté de trois épiceries. Deux sont collées au terrain vague où se dressait l’ancienne mosquée. J’ouvre à nouveau Google Maps, je zoome, je cherche. Seules deux apparaissent : « Daryl Service – Épicerie » et « Alimentation Générale – Magasin ». La troisième, elle, n’existe pas dans les registres numériques. Juste un point GPS vide, sans nom. Invisible pour les algorithmes, mais bien réelle pour les passants.

Je poursuis ma marche, rue des Poissonniers, rue Poulet, rue Dejean, rue Myrha et  rue Doudeauville. Je compte : 50 magasins alimentaires, boucheries, poissonneries. Et pourtant, seulement 32 apparaissent sur Google Maps. Les 18 autres sont absents. Invisibles. Silencieux.

Capture d’écran de ma carte Google Maps sur téléphone. Ce sont les points GPS que j’ai repérés Insitu (commerces alimentaires toutes catégories confondues)puis enregistrés suite à une promenade à Barbès/la Goutte d’Or (Paris 18e) le 18/03/2025

Peut-être tous ces commerces sont récent ? Non. Dans Le Guide du Routard « Paris Exotique » paru en 1999 édité par Hachette, la Goutte d’Or apparait dès la première phrase d’introduction et le marché Dejean apparait quelque ligne plus loin. Sur Google Street View nous pouvons remonter jusqu’en 2008, date à laquelle bon nombre des magasins existe déjà. 

Comment un quartier aussi actif commercialement peut-il être aussi peu représenté dans notre cartographie numérique ? Comment expliquer que près de 40 % des commerces alimentaires que j’ai recensés n’apparaissent pas sur Google Maps ?

A gauche, photo que j’ai prise le 22/04/2025 avec mon appareil photo du magasin « Horizon Uni ». A droite, capture d’écran de Google Street View de 2008 du magasin « Horizon Uni ».

A gauche, photo que j’ai prise le 22/04/2025 avec mon appareil photo du magasin « poissonnerie du château rouge ». A droite, capture d’écran de Google Street View de 2008 du magasin « poissonnerie du château rouge ».

A gauche, photo que j’ai prise le 22/04/2025 avec mon appareil photo du magasin « Pomi ». A droite, capture d’écran de Google Street View de 2008 du magasin « Au Cochon d’Or » remplacer par Pomi en 2018.

Ces commerces qui ne sont pas mis en avant par Google sont pourtant bien visibles à ceux qui arpentent le quartier. Ils nourrissent, habillent, font lien. Ce sont des lieux de vie, des repères du quotidien, absents de notre réalité numérique. Or, au-delà de ses grands symboles et de ses rumeurs, Barbès existe à travers celles et ceux qui y marchent, y vivent, y échangent. Est-ce que Google Maps est le bon outil pour cartographier ce réseau dense, mouvant, humain ?

Barbès n’a jamais eu besoin du numérique pour exister ; c’est peut-être cette absence en ligne qui lui permet de traverser le temps, de résister aux mutations de la ville, et de rester, envers et contre tout, presque intemporelle.