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2024 - 2025

Maël Guérin

Tout commence par la découverte d’une suite de lettres : un acronyme, comme il en existe beaucoup. Le gain de temps est évident — personne ne prendrait la peine de lire « vente en l’état futur d’achèvement ». C’est long, pompeux et soporifique. Et pourtant, ces quatre mots disent beaucoup. C’est d’ailleurs le propre d’un acronyme. La vente en l’état futur d’achèvement permet l’acquisition d’un bien immobilier pas encore construit, acheter le vide et combler l’espace vaquant. Mais ici, ces mots parlent aussi bien du passé que du présent et du futur ; ils révèlent notre rapport au temps. Ils peuvent raconter comment s’organise la construction des quartiers et des lieux de vie au XXIe siècle. Enfin, derrière eux se dessinent les coulisses de notre imaginaire, de nos rêves… et de nos désillusions.

(fig.1) Le quartier se fragmente en plusieurs lots, dont l’aménagement est porté par un autre promoteur privé: Bouygues Immobilier avec UrbanEra. L’ensemble des lots est réparti entre plusieurs autres promoteurs privés afin de partager les risques liés à l’investissement. source: image trouvée sur le site Seine-Parisii.fr, vue satellitaire produite avec un logiciel 3D, consulté en mars 2025.

L’étude du plan mis en vente est primordiale afin de cerner au mieux les décisions des promoteurs. Prenons cet appartement (fig.2), un T4 disposant de trois chambres et d’un séjour, situé au premier étage et orienté nord. Sur la feuille blanche, nous pouvons distinguer trois espaces bien distincts. Tout d’abord, le plan en lui-même : les murs pochés, les dimensions des différentes pièces et leurs fonctions. Nous pouvons remarquer la forme étriquée du séjour, contrainte par l’espace disproportionné de la terrasse. La cuisine vient se loger dans un renfoncement sombre, sans lumière naturelle. De l’autre côté, la profusion de WC au mètre carré peut sembler grotesque.

(fig.2) Plan de vente pour un T4 en VEFA à Cormeille en Parisii, 2022Ce plan et son cartouche comportent des informations contractuelles, indicatives ou approximatives à destination des acquéreurs. Il est diffusé par le promoteur de l’opération BNP Paribas Immobilier, plusieurs année avant laconstruction effective de l’immeuble.

Il faut aller au plus simple. Rapprocher les salles d’eau permet de centraliser les réseaux d’évacuation et ainsi d’éviter des complications dans le plan. La logique d’une répartition régulière des salles d’eau a été abandonnée depuis bien longtemps par les promoteurs et les architectes. La fonction prévaut sur la cohérence. La taille donnée à la terrasse est elle-même concomitante à la forme générale de l’immeuble.

Prenant la forme d’un croissant, les bâtiments du nouveau quartier, ou plutôt les «lots d’appartements », s’enroulent autour du bassin artificiel situé en contrebas (fig.1). Le port de plaisance fait ici office de vitrine pour des appartements disposant d’une orientation peu attrayante.

L’aménageur UrbanEra joue sur l’imaginaire portuaire et la plaisance afin de donner aux futurs spectateurs-habitants l’impression d’être en vacances toute l’année. À défaut de pouvoir juger les détails techniques et spatiaux d’un plan, le futur acquéreur saura se satisfaire d’une vue 3D prometteuse : telle serait la stratégie de ces grands promoteurs immobiliers.

(fig.4) Sur les dessins, l’esthétique pittoresque du quartier se base sur un mélange de typologie architecturale etvernaculaire avec des toits à quatre pans, des balcons enbois et des fenêtres étroites. source: Atelier Xavier Bohl,dessins du projet Seine Parisii

Sur les sites internet des promoteurs, nous pouvons apercevoir des groupes de mots rigides et formels: « Illustrations dues à la libre interprétation de l’artiste », « Non contractuelles », « livrés non aménagés et non meublés » et « de façon non contractuelle ».

Derrière les murs blancs nacrés et l’eau turquoise se profile un pacte de lecture, un accord tacite entre le producteur de l’image et son spectateur. Ce dernier n’est pas dupe : il sait pertinemment que les images de son futur quartier comportent une part de mensonge, mais il l’accepte. Le récit photo-réaliste des images permet ainsi d’asseoir le projet dans la conscience du public, leur montrer une réalité future en haute définition et masquer la même subjectivité artistique que le dessin traditionnel (fig.4; fig.5).

(fig.5) En face, le lot Bouygues Immobilier, à droite l’accès au second bassin sous le pont, à gauche l’entréedu port débouchant sur la Seine. Les bateaux présentésreprenne la typologie des yacht et petit bateaux de luxe.source: image 3D produite par Kréaction et issue du siteweb Seine-parisii.fr.

Les visuels produits dans le cadre de tels projets sont tout aussi importants que les plans des appartements. Aujourd’hui, cette nouvelle imagerie mise au service du marketing et de la promotion des projets immobiliers ne projette plus mais met en récit un espace à des fins commerciales.

En balayant du regard les pixels colorés des images, nous pouvons percevoir l’illusion des façades peintes à l’italienne, les lignes sévères des toits alsaciens et les tuiles ocres de la Provence. Dans ce désordre, les architectes tentent d’unifier un florilège de références régionalistes, un travail d’homogénéisation malin, peut-être malsain. L’ambition de construire vrai échappe au projet Seine Parisii : il faut construire les bribes de rêves nécessaires à l’achat, rien de plus.

"Mon ambition est de faire une architecture qui soit à l'opposé de l'architecture brutale, agressive et médiocre qui régnait lorsque je commençait à exercer mon métier. Je rêvais d'une architecture douce. "
François Spoerry, architecte de Port-Grimaud et mentor de Xavier Bohl

En ce sens, les bateaux montrés sur les images sont victimes du même pastiche que les bâtiments alentour. A-t-on bien conscience du prix d’un bateau et de son entretien ? Est-ce vraiment ce type de bateaux qui naviguent sur le bassin de la Seine ?

(fig.6) Un mail envoyé par l’entreprise Fayolle Marine (filiale du groupe Fayolle) aux plaisanciers du port de l’Arsenal et de la halte de la Villette dont il est le gestionnaire. Ce mail fait la promotion du nouveau port de Seine Parisii dont Fayolle Marine aura la charge dès son ouverture le 2 avril 2025. source: boite mail personnelle de Maël Guérin, mail envoyé par Fayolle Marine - Seine Parisii, le 3 octobre 2025

Les bateaux « exposés » dans le port ne relèvent pas de la responsabilité du promoteur (fig.6). Livré aux aléas du passage et des remous du bassin, le port sera un lieu de vie à part entière dès son ouverture : pénichettes verdies par le temps, cordages figés par des nœuds à répétition, capharnaüm de certaines terrasses envahies par les chaises pliantes et les guirlandes… Le ponton sera un quartier en soi, et les promoteurs semblent l’oublier.

Les images montrent des bateaux vides, en oubliant que de nombreux propriétaires de bateau habitent à bord de leurs embarcations. Il est ainsi judicieux pour les promoteurs d’emprunter les codes des marinas et ainsi se soustraire à un environnement parfois peu flatteur, quitte à nier l’existence même des plaisanciers…