Une recherche de
  • Blanche Pantel
  • À partir de l'enquête

    Coliving, Cohabs, Community

    2024-2025

    Blanche Pantel

    Cette recherche s’intéresse à la question du commun et de la communauté dans les dispositifs et les produits contemporains de coliving, en particulier ceux proposés par l’entreprise Cohabs. Le coliving est une forme d’habitat qui combine espaces privés et espaces communs, et se présente comme une “expérience de vie partagée” reposant sur l’idée du “vivre ensemble” et de la “convivialité”. Qu’est-ce qu’une communauté ? Quelle est celle présentée par le biais de l’offre Cohabs ? Comment se construit elle, est-elle tangible ou simplement virtuelle ? Les maisons sont-elles réellement conçues pour favoriser ce type de vie collective, ou bien la communauté est-elle seulement un discours, une image, un décor, un produit marketing ?

    Capture d’écran de la page d’ouverture du site Cohabs, “Our members call us home”, consulté en mars 2025.

    Cette capture d’écran est la première chose qui apparaît lorsqu’on se rend sur le site de Cohabs. Au premier plan, la phrase “Our members call us home”, et en arrière plan une vidéo mettant en scène des évènements organisés par Cohabs, ici un brunch. En haut de la page, les onglets “Cities, Community, Impact, Find your home”.

    Il est question d’afficher ici toutes les caractéristiques, tous les atouts sur lesquels Cohabs souhaite se mettre en avant. L’utilisation du mot “home” n’est pas anodin et se traduit par “chez-soi”. L’entreprise joue beaucoup sur la question du bien-être pour attirer des membres, que ce soit ainsi au travers d’images ou de vocabulaire. “Find your home” sous entend également que n’importe qui est à un seul clic de trouver sa maison idéale et invite à découvrir le site et sa “communauté”.

    Cohabs propose une série de slogans qui met en valeur leur rôle tout en mettant l’accent sur l’habitant, et ce que sa présence apporte à l’expérience. Pour résumer les slogans, ici, Cohabs crée l’espace, mais c’est toi qui le rends vivant.

    Les slogans suggèrent ainsi que ce sont les résidents qui créent des souvenirs et des liens dans un cadre offert par l’entreprise. Cependant, les lieux, la décoration, les évènements et même les résidents eux-mêmes sont choisis par Cohabs. Les membres ont donc en apparence moins de pouvoir sur la “communauté” que ce qui est pourtant affirmé.

    On a l’impression que l’entreprise crée une « communauté » à son image et qu’ensuite elle cherche à y trouver des membres. Est-ce une vraie communauté si tout est décidé autour des membres et non par eux ?

    Cohabs propose une expérience immersive dès la connexion sur leur site internet, en invitant les utilisateurs à “Log in to your lobby”.

    L’utilisation du mot “lobby” est intéressante car elle fait écho au hall d’entrée d’un établissement, souvent employé dans dans le vocabulaire hôtelier pour désigner un lieu accueillant et chaleureux.

    Ici il est donc question de l’univers Cohabs. Seuls les membres de cette communauté peuvent accéder à cet espace virtuel. Il s’agit de ceux qui y habitent actuellement et ceux qui y ont vécu par le passé (onglet “already lived in Cohabs ?”). Cela renforce le sentiment d’appartenance à une communauté, que ne se limite pas à un lieu de résidence et qui au contraire s’apparente à une expérience partagée par tous.

    Photographie promotionnelle du salon commun de Charonne 66, au 66 rue des Haies, 75020, Paris,Cohabs, septembre 2024

    Photographie du salon commun de Charonne 66, au 66 rue des Haies, 75020, Paris,Photo personnelle, 29 mars 2025

    Voici le salon commun de Charonne 66. Directement accessible par le hall d’entrée, il communique en enfilade avec la cuisine. La première photo est prise par Cohabs et mise en ligne sur leur site, la seconde est une photo personnelle. La photo en question a été prise avec pour objectif de reproduire la promotionnelle. En comparant les deux, certains détails tapent à l’œil. Tout d’abord la profondeur de la photo. La pièce semble bien plus grande dans la photo promotionnelle, comme si la perspective avait été allongée au moment des retouches. Certaines couleurs ne concordent pas non plus. Il s’agit principalement des jaunes, qui sont beaucoup plus ternes dans la réalité. Cela questionne aussi l’éclairage de la pièce, qui paraît être accentué dans la photo promotionnelle. La maison est exposée au Nord-Est, et bien que notre photo ait été prise un samedi matin très ensoleillé, le salon n’est pas pour autant très lumineux. On peut ainsi mettre en lumière des écarts importants entre l’image vendue qui idéalise l’espace et la réalité : profondeur exagérée, couleurs rehaussées et éclairage artificiellement intensifié.

    Photographies des façades de quatre adresses Cohabs, Charonne 66 ; Ménilmontant 30 ; Ménilmontant 287 ; Gambetta 11, 75020, Paris, Photos personnelles, 12 février 2025

    Voici quatre maisons Cohabs situées dans le 20ᵉ arrondissement de Paris : Charonne 66, Ménilmontant 30, Ménilmontant 287 et Gambetta 11. Ces maisons partagent les caractéristiques des maisons de faubourg : de 2 à 4 niveaux, souvent en retrait de la rue avec une petite cour ou terrasse à l’avant, ou alors une cour intérieure au cœur de l’îlot. Certaines maisons ont des façades colorées, que ce soit par le parement ou les volets. La majorité d’entre elles ont conservé leur apparence d’origine, et l’une se distingue par une surélévation créant un rooftop. Ces maisons sont donc ancrées dans l’histoire du quartier tout en proposant une expérience d’habitation nouvelle.

    Reconstitution du plan du RDC de Charonne 66 selon photos de promotion, 66 rue des Haies, 75020, Paris, Production personnelle, mars 2025

    Avec trente chambres et quatre étages, Charonne 66 est la résidence parisienne la plus grande. Les espaces communs se situent au rez-de-chaussée et au sous-sol, et comprennent cuisines, salon, bar, home cinéma, laverie. Un escalier central distribue les niveaux et structure l’espace. Les pièces communes sont décloisonnées, les rendant traversantes, d’un côté sur rue et de l’autre sur la cour intérieure de l’îlot.

    La maison de 775m2 a donc été optimisée pour proposer un maximum de logements. Les espaces communs censés justifier le coût du coliving sont finalement assez petits pour accueillir trente membres. Les 75m2 de cuisine/salle à manger correspondent à 2,5m2 par membre, et les 25m2 de salon, à seulement 0,8m2 par membre.

    Photographie du sol du sas d’entrée de Charonne 66, 66 rue des Haies, 75020, Paris, Photos personnelles, 29 mars 2025

    Certains détails architecturaux laissés apparents après la rénovation témoignent du passé de la maison. Ici, une photographie du seuil d’entrée, là où le couloir central distribue d’une part la cuisine et de l’autre le salon. Le dallage central noir et blanc semble d’époque et n’apparait pas avoir été rénové ou changé lors des travaux. Deux autres types de carrelage délimitent les pièces mitoyennes. Ces sols sont bruts, en mauvais état à certains endroits, cassés, rayés. Le damier du couloir est lui-même incurvé. Des traces d’anciennes cloisons sont également laissées visibles. Le sol demeure ainsi en partie inchangé et conserve son aspect d’origine pré-Cohabs. Cela s’explique-t-il par la volonté d’aller à l’essentiel lors des rénovations par gain de temps, ou cela est-il voulu et participe-t-il à recréer l’imaginaire des intérieurs “branchés” tels que les lofts américains ?

    Ces plans de Saint Maur 55 ont été mis en ligne sur le site internet de Cohabs lors du chantier de la maison dans le but de permettre aux futurs membres de réserver une chambre avant même de voir le résultat final. Une fois le chantier fini et la maison aménagée, ces plans ont été supprimés au profit de photos promotionnelles.

    Les plans permettent de mettre en évidence l’optimisation de l’espace lors de la rénovation. Les chambres ont une surface allant de 9 à 12m2 et sont alignées pour ne pas perdre d’espace. Le schéma se répète : Un lit, un bureau, une commode, et parfois une petite salle de bain intégrée ou partagée entre plusieurs chambres. Ici, la cuisine, la salle à manger et le salon sont compris dans une grande pièce ouverte de seulement 63,7m2 pour 23 personnes. Cela correspond à une surface moyenne minime de moins de 3m2 par membre pour ces trois espaces communs.

    Cohabs souhaite faire de l’écologie et du respect de l’environnement des dimensions centrales de la vie au sein de sa communauté. Cela s’exprime à travers leur rapport d’impact datant de juillet 2023. S’adressant aux membres, aux collaborateurs et investisseurs, le rapport met en avant la pérennité de la communauté en matière d’écologie.

    Cette volonté se traduit notamment dans le mobilier et la décoration des maisons. Des marques en accord avec ces principes sont choisies pour créer “l’esthétique Cohabs”. Cette esthétique participe-t-elle donc à l’esprit de communauté ? Couleurs vives, mobilier varié, luminaires surprenants, coussins… Dans chaque maison, le même schéma est appliqué. La déco se veut singulière et marquant les esprits, mais n’est elle pas finalement impersonnelle dans la mesure où elle est identique à toutes les maisons et choisie par Cohabs et non par les membres eux-mêmes ?

    Plan du quartier de Charonne après 1860, Paris, Archives de Paris

    Le quartier de Charonne, autrefois un village indépendant, conserve un fort esprit de communauté et une ambiance de village, héritée de son passé maraîcher et viticole. Jusqu’au XIXe siècle, les vignes occupaient les trois quarts de ses terres. Le quartier s’est ensuite construit selon un parcellaire allongé reprenant les pentes du vignoble. Cela a créé un tissu urbain assez dense avec de nombreux passages et ruelles.

    Aujourd’hui, l’architecture du quartier de Charonne témoigne de son passé. On y retrouve maisons faubouriennes d’anciens ouvriers et artisans.