Trois Poèmes

Ces poèmes font partie d’une série de 50 poèmes écrits pendant la pandémie de 2020-2021. Le choix typographique de blocs de prose saute à l’oeil directement. La générosité du vers, l’air qu’il offre, semblait à l’époque ne plus résonner comme auparavant, fatigué par le confinement, en manque de souffle. Cependant, la prose n’abandonne pas pour autant le vers - elle choisit plutôt de le cacher au sein d’un voile. Si le vers expose les liens dans, à travers, et par la séparation qu’il opère, nous pouvons considérer ce même mécanisme à l’oeuvre ici, à travers la ponctuation, la longueur des phrases, et l’arrangement des paragraphes. La double fragmentation (des poèmes numérotés, des paragraphes hiérarchisés par une lettre) est augmentée par les changements de vitesse et de densité au sein des paragraphes, marquant l’ouverture et les relations entre les différents poèmes. Les deux paragraphes de chaque poèmes sont comme les faces d’une cassette - passagers, rembobinés au stylo et changés dans leur magnétisme par chaque lecture. Dans cette auralité mise en scène, la voix et le bruit sont contigus; ils remplissent le silence de l’entre-deux - ou alors ils le créent.  

A l’origine, les poèmes ont été écrits en anglais. Leur traduction ci-dessous ne vise pas à retenir une exactitude lexicale, cherchant plutôt à créer encore une autre version, une autre répétition qui diffère.

1.

A.

Halluciner les débuts. Parler d’îles en pierre en passant. Un pain au maïs cuit avec hâte. Des heures de sommeil sans synchronisation. Décider d’omettre. Ne pas vouloir raccrocher. Un lyrisme excessif. Une nuit qui tombe en février. Des persiennes en paille. Rapidement réparées au clou. Des martinis à l’arôme d’aneth contre le froid. Des interruptions d’experts en renaissance. Partager la moitié de tes transcendantaux. Parmi le bois sombre, la lumière encore survit et moi, je m’en trouve vieilli.

B.

Déconcerté par ces premières lettres. Nous dirons une ouverture, pour ne pas dire une brèche. Chers membres du conseil. Une bouteille dans un massage. Un arbre en fête. Des points rouges et bleus sur la bordure d’un voilier. Des petites filles perplexes. Des rhéteurs de métadonnées en proie à une fièvre. Des morceaux de rires sur canapés. Des rêves, fait pour le réveil.

2.

A. 

Pluie de fin d’été. Des peluches de sèche-linge éparses sur le sol. Des tâches de lunes parmi le ciment. Vouloir être porté. Disparitions ponctuées. Silences au point. Des cris de sirènes. La pulsion de mort d’un basilic en pot. Des bureaux vides, éclairés pour personne. Fredonner avec le hurlement des trains. Phil Collins qui voit tes vraies couleurs chez Target. Appelez ça une vision. Demandez une ordonnance à votre docteur. Exigez la bonne chaîne. Posez-nous une question. Ne vous attardez surtout pas. On attend à droite, on marche à gauche. Ici, il n’y a rien. Un astérisque colossal. Se cacher dans l’intervalle. Désirer de l’entre-deux. Des draps frais. Une odeur propre. Une voix absente. Du vert foncé. Une lueur rouge. Des pièges de liquidités. Une austérité qui dure. Manquer de points d’interrogation. Craindre la certitude. Et peut-être le vent.

B.

Faites-lui confiance. A cet avion en papier. A cette douce violence. A cette peine placide. De la magie en mémoire. La langue, un paravent. Always on the road. Vouloir s’approcher. Craindre l’ombre. Craindre la crainte. Il se peut que ce soit récursif. Ces appels manqués. Une facture aurale. La marée qui s’enfuit. Vouloir être jeune avec quelqu’un. Des enfants qui tracent une figure d’écume. Le temps marin qui s’écoule aux fruits de mer. Ces excuses avancées pour cette plume qui t’invoque. Pour le bruit qui fuit la neige. 

3.

A.

Des vieilles portes en bois. Ces mottes de fusils, coagulant dans un soleil de novembre, un tissu bleu qui ondule au-dessus de toits en argile. Figé dans l’autrefois, il y a longtemps. L’odeur de draps qui sèchent dans un vent sableux. La peau furtive derrière un coton amidonné. Les écrits au mur. Trois-cent trente-trois saints. Miracles oubliés. Enfouis dans une malle. Aux cendres des cèdres. Aux ombres. 

B.

Des tentes tremblant derrière les dunes mouvantes. La Mémoire comme métonymie. Retrouvée partout, une douce et impossible répétition. Des légumes en conserves chauffés aux étoiles qui s’étalent en ocres sur les marches. D’antan, il y avait de l’eau. D’antan, des marécages, des roseaux et de l’argent à présage. Avant que ne s’étalent les tapis, avant que ne vienne le froid, avant que les spirales de roches noires ne répondent. A la nébuleuse glaise des langueurs de la langue pour les adresses égarées.